La Blessure

La Blessure

La ville était retournée, vidée comme le sac d'une femme du monde étalant tous ses recoins sans pudeur, son intimité mise à nu. Les avenues, les rues dans leurs vastes étendues étaient parsemées d'une multitude de choses parfois indéfinissables, d'objets maintenant flagrants d'inutilité, tout cela éparpillé, les plus légers flottants, rôdant à quelque distance du sol.

Les immenses façades d'immeubles gris et toutes identiques dans leur rigueur rectiligne glacée laissaient apparaître quelques flocons blancs de rideaux qui s'échappaient des fenêtres éclatées. Le silence rendait tout cela d'une immobilité plus oppressante encore, seul un objet métallique allant à la dérive au gré du vent semblait dans sa plainte de métal résonnant par à-coups chercher à fuir là-bas vers l'horizon la sinistre avenue. Au coin d'un carrefour, un feu clignotant émettait encore une lumière orange, comme un S.O.S. lancé par un invisible paquebot en perdition englouti dans la nuit.

Un supermarché déversait par toutes ses vitrines affalées toutes sortes d'emballages alimentaires, de victuailles aux couleurs douteuses, repoussantes, de fruits gâtés, de bouteilles brisées, de cartons éventrés. Plus loin, une agence de voyages, vitres décorées de palmiers artificiels proposait, en affichant d'énormes caractères, des prix alléchants pour des voyages de rêve vers des lagunes de soleil caressées par des océans d'eaux turquoise transparentes et chaudes, le bonheur à la portée de tous ! 

Ailleurs, dans des costumes de tweed de bonne coupe, des mannequins s'étalaient face contre terre sur le trottoir parsemé de verre brisé, comme si, profitant de l'absence du tailleur, ils avaient cherché en vain à échapper à la panique qui avait tout bouleversé et que je ne pouvais pas m'expliquer. Reprenant ma valise, je fis un effort pour avancer espérant rencontrer un signe de vie.

C'est alors qu'apparaissant d'une rue perpendiculaire, je vis venir un tout jeune enfant, un petit garçon qui avançait frêle mais tout droit, traînant derrière lui un ours en peluche presque aussi grand que lui. Il le tirait par le bras et l'ours rebondissait sur le sol de ci de là, heurtant toutes sortes de débris. Tournant la tête il me vit, et sans hésitation se dirigea vers moi : 

  • Tu veux bien soigner mon ours ?

Celui-ci était éventré, et par la blessure la paille s'échappait.

  • Bien sûr, mais d'où viens-tu ?

  • Je ne suis pas d'ici, je suis d'ailleurs, comme toi peut-être, je suis perdu. Alors, tu soignes mon ours, il est tout pour moi.

 

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